Notre écriture n’est pas un phénomène totalement conscient, maîtrisable à volonté, c’est même plutôt « un mouvement de l’âme », bien mystérieux au demeurant : une sorte de cuisson alchimique qui se fait en partie en dépit de soi, tout en réclamant :
-
tantôt à hauts cris aux travers d’humeurs incontrôlables que
nous nous en occupions avec le plus de régularité et de constance
possibles,
-
ou à bas bruits, au travers d’un malaise diffus, d'une culpabilité
à n’être pas plus présents à nous même, aux engagements moraux
pris, à l'acte d'écrire…
Il
se lève alors en nous des angoisses. Et s'éveillent les soucis, les
tourments intérieurs de tous ordres qui font beaucoup parler les
auteurs et se plaindre un Winston Churchill : « L'écriture est une
aventure. Au début c'est un jeu, puis c'est une amante, ensuite
c'est un maître et ça devient un tyran.»
Les grecs connaissaient déjà nos souffrances et nos émois, nos enfers,(Les fantômes de l’Hadès) et ils révéraient en le redoutant Chronos (dieu du temps), tout en gardant au chaud dans leur cœur, une attention à Caïros, (Dieu du moment opportun).
Nous sommes tous confrontés dans notre temps de création littéraire à ces deux premières «divinités », il nous faut gérer Chronos, le fond métronomique des attentes sociales, des urgences et exigences extérieures chronophages et centrifuges et puis gérer l’ Hadès, le tiraillement entre l'envie et le possible, la volonté et la réalité, la qualité du temps tel que nous le vivons, tel qu’il nous apparaît dans son sens, son goût,...ce temps centripète, celui qui nous ramène à nous même, celui où s’éveillent nos impatiences et nos frustrations, nos ravissements et nos plaisirs.
C’est
lui, aussi, qui fait de nos heures inspirées des temps toujours trop
courts, et de nos heures sans peine de stérilité créatrice, des
moments sans gloire, ces bagnes sans nom, où nous quêtons les
sourires de nos codétenus pour oublier notre infortune, les
approbations de nos proches ou de nos « fans-amis » :
-
pour raffermir notre propre foi en nous,
-
oublier nos indigences petitement humaines, voir la peur de notre
stérilité honteuse.
Ne
rions pas, l’affaire est sérieuse et nous en sommes tous là !
Ce
n’est rien de dire que nous avons à faire pour tenir ensemble la
bride à ces deux impérieuses réalités du temps créatif.
Parfois, pourtant, il y a aussi et heureusement, ce temps de gloire et peut-être est-ce cela le véritable temps de la création, ou peut-être celui du chef d’œuvre, (ou du moins de l’œuvre la mieux réussie possible). En tout cas, semble-t-il, il semble s'agir du plus haut que l’auteur (écrivant) puisse atteindre... quand Caïros est chevauché.
Moment de grâce, quand le créateur (l’écrivant), se sent le Dieu lui-même, lorsqu’il a traversé le miroir, devenu un avec son monde (intérieur), ou libéré de lui par un dépassement :
-
un avec les appels ou les silences de l'extérieur,
-
lorsqu’il écrit dans le silence de son âme d’ordinaire
tiraillée, déchirée et lorsqu’il sent que Chronos n’est plus
une gêne (que le temps manque ou non !)
Il
surfe en état de grâce sur la crête d’une vague porteuse où il
pourra faire coïncider le temps qui passe du métronome et celui de
sa progression intérieure, de sa liberté , de son sentiment
d’infini dans l’unicité des instants qui se suivent et se créent
sous sa plume.
Ici pour une heure, ou le temps de son travail, il a oublié tous les temps possibles, (et jusqu’à l’autre pour qui il écrivait...)
Ici pour une heure, ou le temps de son travail, il a oublié tous les temps possibles, (et jusqu’à l’autre pour qui il écrivait...)
Parce
qu’ici, il est devenu plus plein, plus entier, différent et
lui-même pourtant, porté par un oubli de soi et une plénitude qui
lui ont donné d’être vraiment, d'être sans bordure: dans le mot,
la phrase, le texte qui libère, la structure qui construit,
l'émotion mise en tension qui le grandit....
Plus tard, après le point d’orgue final, il se retrouvera sur la grève du temps ordinaire, un peu différent… un peu plus grand de ce qu’il ne connaissait pas de lui-même…. et ce nouveau moi ne se limitant plus tout à fait à cet ego tourmenté qu’il fut...
Du monde et de lui, il aura su donner un peu un autre visage....
Plus tard, après le point d’orgue final, il se retrouvera sur la grève du temps ordinaire, un peu différent… un peu plus grand de ce qu’il ne connaissait pas de lui-même…. et ce nouveau moi ne se limitant plus tout à fait à cet ego tourmenté qu’il fut...
Du monde et de lui, il aura su donner un peu un autre visage....
Et
de son bain dans l'infini du silence créateur, il aura ramené un
peu de cette liberté, qui l'appelle à écrire et l'a, un temps,
libéré du temps.
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