vendredi 26 octobre 2018

Femme en souffrance

KRIST DIMO (Oeuvre au nom inconnu)


Infini qui attire...
Elle aurait dû être éternelle.
Et n’aura, pourtant, que si peu de temps été.
Femme poseuse ou bien publique ?
Simplement femme : femme simplement !

Corps nu allongé,
Nu désirable et corps déchiré :
Il crie le désir éveillé
Jusqu’à la féminité offensée.

Corps martyr et corps blessé,
Corps battu peut-être,
Corps découpé même,
Délavé par le temps, souillé d’outrages.
Corps griffé aussi,
Entaillé et terni de coulures.
  
Soudain le corps chosifié
N’est plus qu’un collage
Plus qu’une réalité détachée

Visage bandé, visage voilé.
Bouche muette, jeunesse grisée,
Regard, regard triste,
Regard qui interroge
Qui accuse et oblige à penser.

Où est l’amour ?
Où, le respect de l’essence ?

Aimer la Vie n’est-ce pas forme de quelque prière?


samedi 6 octobre 2018

Faire face à la détresse, faire face à la misère


                                        

« Chacun porte sa croix », disait ma mère.
Et elle a porté la sienne avec courage, c’est entendu . Et tout aurait du être dit. Mais depuis, j’ai goûté la vie et senti bien des souffrances, et pas que les miennes : je les ai vu entre les lignes écrites, au détour des cris, des larmes d’humains, de leurs voix ou même de leurs destins.  Et jusqu’aux grands sages qui affirment que « La vie est souffrance ». Comment ne pas hurler ? Mais quoi...

Le Diable, les Dieux ou les hommes ?
Qui dois-je tenir pour responsable ?
Diable, Dieu ou bien les hommes ?
Qui dois-je poursuivre de ma rage ?
Il y aurait tant à dire, et puis tant à faire.
Ma petite cuillère percée, ne suffit pas à vider l’océan de ces détresses qui, partout, jusque dans nos paradis nous cernent et nous blessent de leur insistance.

                                      
 Dans ce camion bâché de République Dominicaine, nous étions vingt touristes.
Il filait sur la piste chaotique de la plantation, à tombeau ouvert.
 Nous devions traverser un village de travailleurs, en fait de véritables esclaves haïtiens, sans-papiers donc sans existence sur le territoire dominicain.

On nous avait invité à prendre avec nous, tous les bonbons possibles, des cahiers d’écoliers et des stylos. Ce serait une fête, nous leur en ferions cadeaux…

Lorsqu’arriva notre camion, les enfants courraient autour, alors même qu’il roulait encore. Les plus lestes tentaient de grimper aux ridelles du véhicule , d’arracher peut-être quelques vétilles à notre générosité, à défaut de pouvoir le faire à nos richesses.
Pleins de faims peut-être, de désirs en tout cas, de besoins surtout !  Ils n’avaient rien. Sans papiers, ici, voulait dire aussi  sans école, et ils vivaient pieds nus sur la terre battue par une chaleur d’ enfer, dans des cabanes de bois et de tôles vite assemblées.
Dans les champs de canne, plus loin, leurs parents peinaient  à récolter sur leur dos, chacun jusqu’à quatre ou cinq tonnes par jour de canne à sucre, et gagnaient, au mieux, un euro en fin de journée.

                                         
 Et je l’ai vu le chauffeur :  au lieu d’un arrêt pour nous permettre une distribution plus humaine et fraternelle, je l’ai vu, le chauffeur, presser l’accélérateur.
Le camion a fait un bon en avant. Nous criions, nous criions pour qu’il freine, s’arrête enfin et évite de blesser les enfants, bien plus frustrés que nous encore, et qui tentaient de se maintenir.

Que nenni, il n’en roulait que plus vite !
Nous avons du les jeter par-dessus bord, en direction, de plus en plus lointaine, des mains enfantines tendues et malheureusement vides.
Au vent du hasard, nos beaux cahiers bien propres, nos stylos bien emballés et même nos bonbons. Eux aussi prendraient le sable, malgré leurs pauvres emballages colorés.

Parce que la misère et la souffrance font peur, parce que ce n’est que trop vrai qu’il serait doux de ne rien en voir, qu’il serait si doux de ne rien devoir.

On nous a ensuite expliqué que le chauffeur s’était effrayé, qu’il avait voulu jouer la sécurité. La sécurité, oui, avant tout ! la confortable, la nôtre à chacun et  la mienne aussi ce jour-là, puisque j'étais là.

Finalement, on nous a montré sans le vouloir sur quelles fondations s’élèvent nos sécures conforts all-inclusifs, et aussi quel esclavage inhumain donne ce si bon goût, au prix de mon carré de sucre du matin .

A l'arrêt suivant, le chauffeur, sans commentaire aucun , nous a montré le pistolet - toujours chargé- qu’il gardait, prêt à tout, dans sa boite à gants.

                                         
Dans "l'humanitaire" aussi, pour cet homme, la peur pouvait, du moins potentiellement, le conduire à une confrontation si tendue que la mort à donner  était possible.
Là et même ailleurs, j'en ai vu de ces miliciens armés jusqu'aux dents, qui protégeaient la richesse montante, tenue dans de grands magasins, contre une pauvreté sans fond tenue juste de l'autre côté des portes d'entrée, à deux pas de nos luxueux refuges clos pour touristes choyés.

Le premier jet de ce texte est né d'un souvenir authentique, retrouvé durant un atelier d'écriture animé par Isabelle Pandazopoulos. L'atelier a eu lieu, début octobre 2018, à Montélimar dans le cadre des Cafés Littéraires.