« Chacun
porte sa croix », disait ma mère.
Et elle a porté la sienne avec courage, c’est entendu . Et tout aurait du être dit. Mais depuis, j’ai goûté la vie et senti bien des souffrances, et pas que les miennes : je les ai vu entre les lignes écrites, au détour des cris, des larmes d’humains, de leurs voix ou même de leurs destins. Et jusqu’aux grands sages qui affirment que « La vie est souffrance ». Comment ne pas hurler ? Mais quoi...
Et elle a porté la sienne avec courage, c’est entendu . Et tout aurait du être dit. Mais depuis, j’ai goûté la vie et senti bien des souffrances, et pas que les miennes : je les ai vu entre les lignes écrites, au détour des cris, des larmes d’humains, de leurs voix ou même de leurs destins. Et jusqu’aux grands sages qui affirment que « La vie est souffrance ». Comment ne pas hurler ? Mais quoi...
Le Diable, les
Dieux ou les hommes ?
Qui dois-je
tenir pour responsable ?
Diable, Dieu
ou bien les hommes ?
Qui dois-je poursuivre de ma rage ?
Il y aurait
tant à dire, et puis tant à faire.
Ma petite cuillère
percée, ne suffit pas à vider l’océan de ces détresses qui, partout, jusque
dans nos paradis nous cernent et nous blessent de leur insistance.
Il filait
sur la piste chaotique de la plantation, à tombeau ouvert.
Nous devions traverser un village de
travailleurs, en fait de véritables esclaves haïtiens, sans-papiers donc sans
existence sur le territoire dominicain.
On nous
avait invité à prendre avec nous, tous les bonbons possibles, des cahiers d’écoliers
et des stylos. Ce serait une fête, nous leur en ferions cadeaux…
Lorsqu’arriva
notre camion, les enfants courraient autour, alors même qu’il roulait encore. Les
plus lestes tentaient de grimper aux ridelles du véhicule , d’arracher peut-être
quelques vétilles à notre générosité, à défaut de pouvoir le faire à nos
richesses.
Pleins de faims
peut-être, de désirs en tout cas, de besoins surtout ! Ils n’avaient rien. Sans papiers, ici, voulait
dire aussi sans école, et ils vivaient pieds
nus sur la terre battue par une chaleur d’ enfer, dans des cabanes de bois et
de tôles vite assemblées.
Dans les
champs de canne, plus loin, leurs parents peinaient à récolter sur leur dos, chacun jusqu’à quatre
ou cinq tonnes par jour de canne à sucre, et gagnaient, au mieux, un euro en
fin de journée.
Le camion a
fait un bon en avant. Nous criions, nous criions pour qu’il freine, s’arrête
enfin et évite de blesser les enfants, bien plus frustrés que nous encore, et qui
tentaient de se maintenir.
Que nenni,
il n’en roulait que plus vite !
Nous avons
du les jeter par-dessus bord, en direction, de plus en plus lointaine, des
mains enfantines tendues et malheureusement vides.
Au vent du
hasard, nos beaux cahiers bien propres, nos stylos bien emballés et même nos
bonbons. Eux aussi prendraient le sable, malgré leurs pauvres emballages
colorés.
Parce que la
misère et la souffrance font peur, parce que ce n’est que trop vrai qu’il
serait doux de ne rien en voir, qu’il serait si doux de ne rien devoir.
On nous a ensuite expliqué que le chauffeur s’était effrayé, qu’il avait voulu jouer la sécurité. La sécurité,
oui, avant tout ! la confortable, la nôtre à chacun et la mienne aussi ce jour-là, puisque j'étais là.
Finalement,
on nous a montré sans le vouloir sur quelles fondations s’élèvent nos sécures conforts
all-inclusifs, et aussi quel esclavage inhumain
donne ce si bon goût, au prix de mon carré de sucre du matin .
A l'arrêt suivant, le chauffeur,
sans commentaire aucun , nous a montré le pistolet - toujours chargé- qu’il gardait,
prêt à tout, dans sa boite à gants.
Dans "l'humanitaire" aussi, pour cet homme, la peur pouvait, du moins potentiellement, le conduire à une confrontation si tendue que la mort à donner était possible.
Là et même ailleurs, j'en ai vu de ces miliciens armés jusqu'aux dents, qui protégeaient la richesse montante, tenue dans de grands magasins, contre une pauvreté sans fond tenue juste de l'autre côté des portes d'entrée, à deux pas de nos luxueux refuges clos pour touristes choyés.
Là et même ailleurs, j'en ai vu de ces miliciens armés jusqu'aux dents, qui protégeaient la richesse montante, tenue dans de grands magasins, contre une pauvreté sans fond tenue juste de l'autre côté des portes d'entrée, à deux pas de nos luxueux refuges clos pour touristes choyés.
Le premier jet de ce texte est né d'un souvenir authentique, retrouvé durant un atelier d'écriture animé par Isabelle Pandazopoulos. L'atelier a eu lieu, début octobre 2018, à Montélimar dans le cadre des Cafés Littéraires.
C'est terrible. Et d'autant plus que la peur du chauffeur n'était sans doute pas infondée tant la misère du désespoir en foule peut conduire à la violence. Cela me rappelle, en moins extrême, à des scènes vécues dans la Yougoslavie de Tito où en pleine campagne, je devrais dire montagne, barricadées (nous étions trois jeunes femmes) dans notre voiture, les pères étaient venus nous délivrer d'une bande d'adolescents hostiles.
RépondreSupprimerUne foule, un groupe peuvent en effet être irresponsable ou lever des inhibitions individuelles d'ordinaires plus solides.
RépondreSupprimerSe rajoute à cela, cette réalité que nos paradis touristiques fleurissent et se développent ou prospèrent parfois en contrepoint de situations économiques désastreuses et activent, éveillent de terribles mais compréhensibles convoitises.
Merci Jeanne Fadosi pour ce commentaire et ce souvenir partagés