L’un est
purement littéraire et cognitif :
Les consignes sont à
l’atelier d’écriture comme les situations-problèmes dans l’enseignement des
mathématiques, des occasions de mise en déséquilibre salutaires, qui obligent à
une remise en cause de nos savoirs, et « pouvoirs-écrire » antérieurs pour nous mettre en chemin vers un
état plus avancé de « capacité à écrire dans une forme donnée ».
(Aspect d’invitation de la consigne)
Accéder à la production
d’un texte à partir d’une consigne, c’est se trouver lancé vers un au delà du
présent, inconnu.
|
Passer par la nécessité de jouer le jeu, pour (se
nourrissant de la contrainte et du chemin parcouru pour la réaliser), se
trouver différent dans ses savoirs et savoirs-faire scripturaux à travers elle.
L’autre est un aspect personnel :
La psychopédagogie scolaire a su mettre en évidence, le fait qu’il
n’y a aucune acquisition de connaissance, de savoir-faire qui ne s’accompagne
d’une évolution, d’une modification au moins marginale des savoirs-être.
J’ai durant des années travailler avec des enfants atteints de
troubles psychiques graves, dans l’incapacité régulière de gérer la remise en
question que représentait l’apprentissage et le nécessaire abandon de la stabilité d’un
savoir, d’une expérience, d’une certaine image de soi, pour se trouver
confronter à l’instabilité de la difficulté à apprendre c’est à dire à grandir.
Ils entraient, dès que se relâchait la réassurance massive qu’il
fallait savoir mettre en place autour d’eux, dans des colères terribles, des
violences folles.
Dans l’écriture, comme dans les mathématiques, oser lâcher la rampe du savoir acquis, de la
connaissance accumulée et des savoirs faire stabilisés, c’est se retrouver
pendant un temps au moins (fut-ce très brièvement : exemple, durant le
temps de recréer un nouvel équilibre et une nouvelle situation de confort
intellectuel), se trouver dans un entre-deux, qui n’est pas loin d’être un vide, un
peu effrayant.
Ainsi écrire pour apprendre, et grandir en tant qu’écrivant, est-il
la chose suivante :
Intégrer, par la consigne, une contrainte qui va contrarier mon
confort et mon attitude de repos, « quiétude d’équilibre »
initiale, pour atteindre une attitude de repos ou « quiétude
d’équilibre »secondaire plus évolué, une fois quelque chose produit.
|
Ce temps
de déséquilibre, est le « ground zéro », d’où va émerger la
créativité littéraire, à partir d’où « rien ne sera plus jamais comme
avant ».
De la
lutte entre :
1) le Démon
de l’adversité en soi (défenses,
résistances au changement, colères, peurs, perte de confiance en soi,
difficulté à accepter la frustration de n’être pas encore assez brillant pour
réussir d’emblée et de façon grandiose le devoir imposé)
2)
et l’Archange
(le moi écrivant en devenir, les forces de
progrès en action dans ma décision d’écrire, celui qui veut avancer dans son
projet…)
naîtra
le texte que nous aura inspiré la consigne.
|
La
consigne agît un peu comme un passage sous les fourches caudines, c’est un
passage par une expérience difficile, parfois même humiliante au sens où elle
nous conduit à une humilité.
Nous partons, tous avec quelque part, une grande idée de
nous-même, même si elle ne se dit guère, une image enrichie et porteuse du
potentiel que nous ressentons en nous.
Mais nous pouvons craindre de nous mettre à l’épreuve de la
consigne et surtout de ne pas gagner, de ne pas réussir, de ne pas parvenir à
surfer en maîtres sur sa crête où ce qu’elle nous indique comme nécessaire.
Il
s’agit donc aussi d’une expérience de castration de notre liberté immature .
Nous
hésitons à nous mettre à l’épreuve du regard de l’autre, de ce qu’il dira de
notre exercice de soumission : parce que cela vient
toujours, juste après les mille et unes relecture.
L’autre, en effet, risque de ne pas nous comprendre, de ne pas « nous »
apprécier à notre juste valeur « c’est à dire, globalement, à cette haute
idée que j’ai de moi-même ou qu’au moins, je voudrais avoir de moi-même »
la haute idée de ce que je viens de réussir, ce que je viens de sacrifier pour le
produire…
Et voilà qui explique que nous ayons tant besoin de retours
positifs et surtout du suprême regard bienveillant, positif ou au moins
empathique du correcteur, des lecteurs, des critiques:
- pour
nous garder dans le courage de la confrontation au déséquilibre, au vide, à la
créativité.
- Pour oser naître (jouissance de la
renaissance, de la victoire de l’archange sur le Démon de la peur ou de
l’inconfort) : il nous a fallu mourir d’abord (petite mort et grands
doutes inconfortables).
Stephen King dans son livre « Ecriture », invite à
toujours au moins payer un verre à un homme qui vient vous présenter son
manuscrit, car fut-il mauvais, il a au moins eu le mérite de le produire.
Je crois que c’est une
attitude salutaire. Tout ce que nous faisons n’est pas bon ou des meilleurs,
mais saluons la peine que nous avons eu à le faire.
Nous avons sauté pied joint
au fond de notre néantesque nature « inconnaissante », pour en
ramener un matériau nouveau, peut-être une pépite (qui sait) souvent mal fondue,
mais en cheminant, nous avons intégré la contrainte, humblement baisé la terre,
les bras liés dans le dos, et nous avons appris en cheminant à cheminer, en
écrivant à écrire.
Nous tenons le point de départ de texte, ou bien peut-être son
style, ses grandes lignes.
Le reste est affaire de travail, affaire de peine et d’exercice
d’affinage, de reécriture, de lectures critiques, personnelle d’abord, puis soumise
aux autres.
Voici pour les peurs, qu’en est-il alors des esquives ?
Elles naissent des peurs bien
sûr, elles nous parlent aussi de nous, de nos difficultés et résistances
cognitives, de nos limites imaginatives, affectives ou stylistiques :
telle consigne nous oblige à une limite de format, à une épure stylistique, qui
nous est contre-nature, d’où résistances maximales et projections coléreuses
sur la créatrice de la consigne (au pire !), sur soi-même (au
mieux !) : « tu vaux rien ! », « t’es qu’une
…. »
Ainsi peut-il se faire
que l’on ait envie de se mettre, plus encore, à l’épreuve, pour
moins ressentir la consigne comme un poids externe, pour en faire un outil que
l’on nie en le renforçant soi-même : en le mettant au galop, puisque le trot nous
est demandé (pour échapper par obligation autoproclamée, à ce lieu où la
consigne "trop sûrement et trop limitativement" nous amène).
Je me souviens d’une consigne
où il s’agissait d’intégrer dans une nouvelle de son cru comprenant moins de
6000 caractères, une dizaine de mots tirés de champs lexicaux sans lien les
uns avec les autres, ce qui n’est en soi pas une réalisation des plus simples (si
l’on souhaite que l’exercice soit réussi et ait au final un air naturel!). Ma
seule façon d’échapper à la consigne a été de rajouter de la difficulté aux difficultés (en utilisant les dix mots en question, deux fois dans le texte de la
nouvelle (négation de la difficulté par amplification de celle-ci), voir le
texte « Donner à la vie un plus audacieux génome » du même auteur.
Quelque chose pourtant sait qu’ainsi l’Archange est plus sûrement
vainqueur, car c’est lui-même qui nous a inspiré le combat.
Je le battrais à main
nu ce démon, puisqu'il faut le combattre, et qu’il a une épée :
Bravade salutaire et glorieuse, bravade créatrice
dans la jouissance finale de la création.

De l’usage de la consigne dans l’atelier d'écriture littérairede De La Torre Serge est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Fondé(e) sur une œuvre àhttp://instantsdecriture.blogspot.fr/.
Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être obtenues àhttp://instantsdecriture.blogspot.fr/.

De l’usage de la consigne dans l’atelier d'écriture littérairede De La Torre Serge est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Fondé(e) sur une œuvre àhttp://instantsdecriture.blogspot.fr/.
Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être obtenues àhttp://instantsdecriture.blogspot.fr/.
Serge
De La Torre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire