samedi 22 février 2014

De l’usage de la consigne dans l’atelier d'écriture littéraire





Il y a dans la consigne de l’atelier d’écriture, deux aspects :

L’un est purement littéraire et cognitif :

Les consignes sont à l’atelier d’écriture comme les situations-problèmes dans l’enseignement des mathématiques, des occasions de mise en déséquilibre salutaires, qui obligent à une remise en cause de nos savoirs, et « pouvoirs-écrire »  antérieurs pour nous mettre en chemin vers un état plus avancé de « capacité à écrire dans une forme donnée ». (Aspect d’invitation de la consigne)
Accéder à la production d’un texte à partir d’une consigne, c’est se trouver lancé vers un au delà du présent, inconnu.
 Passer par la nécessité de jouer le jeu, pour (se nourrissant de la contrainte et du chemin parcouru pour la réaliser), se trouver différent dans ses savoirs et savoirs-faire scripturaux à travers elle.

L’autre est un aspect personnel :

La psychopédagogie scolaire a su mettre en évidence, le fait qu’il n’y a aucune acquisition de connaissance, de savoir-faire qui ne s’accompagne d’une évolution, d’une modification au moins marginale des savoirs-être.

J’ai durant des années travailler avec des enfants atteints de troubles psychiques graves, dans l’incapacité régulière de gérer la remise en question que représentait l’apprentissage et  le nécessaire abandon de la stabilité d’un savoir, d’une expérience, d’une certaine image de soi, pour se trouver confronter à l’instabilité de la difficulté à apprendre c’est à dire à grandir.
Ils entraient, dès que se relâchait la réassurance massive qu’il fallait savoir mettre en place autour d’eux, dans des colères terribles, des violences folles.

Dans l’écriture, comme dans les mathématiques, oser lâcher la rampe du savoir acquis, de la connaissance accumulée et des savoirs faire stabilisés, c’est se retrouver pendant un temps au moins (fut-ce très brièvement : exemple, durant le temps de recréer un nouvel équilibre et une nouvelle situation de confort intellectuel),  se trouver dans un entre-deux, qui n’est pas loin d’être un vide, un peu effrayant.

Ainsi écrire pour apprendre, et grandir en tant qu’écrivant, est-il la chose suivante :
Intégrer, par la consigne, une contrainte qui va contrarier mon confort et mon attitude de repos, « quiétude d’équilibre » initiale, pour atteindre une attitude de repos ou « quiétude d’équilibre »secondaire plus évolué, une fois quelque chose produit.

Ce temps de déséquilibre, est le « ground zéro », d’où va émerger la créativité littéraire, à partir d’où « rien ne sera plus jamais comme avant ».

De la lutte entre :
1)    le Démon
de l’adversité en soi (défenses, résistances au changement, colères, peurs, perte de confiance en soi, difficulté à accepter la frustration de n’être pas encore assez brillant pour réussir d’emblée et de façon grandiose le devoir imposé)

2)   et  l’Archange
 (le moi écrivant en devenir, les forces de progrès en action dans ma décision d’écrire, celui qui veut avancer dans son projet…)
naîtra le texte que nous aura inspiré la consigne.
La consigne agît un peu comme un passage sous les fourches caudines, c’est un passage par une expérience difficile, parfois même humiliante au sens où elle nous conduit à une humilité.

Nous partons, tous avec quelque part, une grande idée de nous-même, même si elle ne se dit guère, une image enrichie et porteuse du potentiel que nous ressentons en nous.

Mais nous pouvons craindre de nous mettre à l’épreuve de la consigne et surtout de ne pas gagner, de ne pas réussir, de ne pas parvenir à surfer en maîtres sur sa crête où ce qu’elle nous indique comme nécessaire.
Il s’agit donc aussi d’une expérience de castration  de notre liberté immature .

Nous hésitons à nous mettre à l’épreuve du regard de l’autre, de ce qu’il dira de notre exercice de soumission : parce que cela vient toujours, juste après les mille et unes relecture.

L’autre, en effet, risque de ne pas nous comprendre, de ne pas « nous » apprécier à notre juste valeur « c’est à dire, globalement, à cette haute idée que j’ai de moi-même ou qu’au moins, je voudrais avoir de moi-même » la haute idée de ce que je viens de réussir, ce que je viens de sacrifier pour le produire…

Et voilà qui explique que nous ayons tant besoin de retours positifs et surtout du suprême regard bienveillant, positif ou au moins empathique du correcteur, des lecteurs, des critiques:
-       pour nous garder dans le courage de la confrontation au déséquilibre, au vide, à la créativité.
-        Pour oser naître (jouissance de la renaissance, de la victoire de l’archange sur le Démon de la peur ou de l’inconfort) : il nous a fallu mourir d’abord (petite mort et grands doutes inconfortables).

  Stephen King dans son livre « Ecriture », invite à toujours au moins payer un verre à un homme qui vient vous présenter son manuscrit, car fut-il mauvais, il a au moins eu le mérite de le produire.
  Je crois que c’est une attitude salutaire. Tout ce que nous faisons n’est pas bon ou des meilleurs, mais saluons la peine que nous avons eu à le faire.

 Nous avons sauté pied joint au fond de notre néantesque nature « inconnaissante », pour en ramener un matériau nouveau, peut-être une pépite (qui sait) souvent mal fondue, mais en cheminant, nous avons intégré la contrainte, humblement baisé la terre, les bras liés dans le dos, et nous avons appris en cheminant à cheminer, en écrivant à écrire.

Nous tenons le point de départ de texte, ou bien peut-être son style, ses grandes lignes.
Le reste est affaire de travail, affaire de peine et d’exercice d’affinage, de reécriture, de lectures critiques, personnelle d’abord, puis soumise aux autres.

Voici pour les peurs, qu’en est-il alors des esquives ?

Elles naissent des peurs bien sûr, elles nous parlent aussi de nous, de nos difficultés et résistances cognitives, de nos limites imaginatives, affectives ou stylistiques : telle consigne nous oblige à une limite de format, à une épure stylistique, qui nous est contre-nature, d’où résistances maximales et projections coléreuses sur la créatrice de la consigne (au pire !), sur soi-même (au mieux !) : « tu vaux rien ! », « t’es qu’une …. »
Ainsi peut-il se faire que l’on ait envie de se mettre, plus encore, à l’épreuve, pour moins ressentir la consigne comme un poids externe, pour en faire un outil que l’on nie en le renforçant soi-même :  en le mettant au galop, puisque le trot nous est demandé (pour échapper par obligation autoproclamée, à ce lieu où la consigne "trop sûrement et trop limitativement" nous amène).

 Je me souviens d’une consigne où il s’agissait d’intégrer dans une nouvelle de son cru comprenant moins de 6000 caractères, une dizaine de mots tirés de champs lexicaux sans lien les uns avec les autres, ce qui n’est en soi pas une réalisation des plus simples (si l’on souhaite que l’exercice soit réussi et ait au final un air naturel!). Ma seule façon d’échapper à la consigne a été de rajouter de la difficulté aux difficultés (en utilisant les dix mots en question, deux fois dans le texte de la nouvelle (négation de la difficulté par amplification de celle-ci), voir le texte « Donner à la vie un plus audacieux génome » du même auteur.

Quelque chose pourtant sait qu’ainsi l’Archange est plus sûrement vainqueur, car c’est lui-même qui nous a inspiré le combat. 
Je le battrais à main nu ce démon, puisqu'il faut le combattre, et qu’il a une épée :

 Bravade salutaire et glorieuse, bravade créatrice 
dans la jouissance finale de la création.

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                                                                       Serge De La Torre

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