dimanche 22 mai 2016

Philomèle


Philomèle n’a rien du poseur. Pas lui !
Pas du genre à plastronner dans des surcots de parade, ni à marcher sur les avant-scènes en vêtements de couleurs, plein d’arrogance, de couleurs et de fantaisies…
Non! Il est plutôt timide ! En tout cas discret dans sa chemise longue, parfois crème et sinon blanche. Et puis ce costume brun, croyez-moi, il en fera aussi bien son dimanche que son ordinaire.

N’allez pas, non plus, lui chercher une taille de guêpe qu’il n’a pas ; car si c’est d’un séducteur que je parle, il aime aussi ses aises.
Ses pectoraux rebondis, peut-être d’authentiques muscles - acquis à quelles luttes grandioses! (Allez savoir quand on a traversé la mer!)  Ils lui vont bien, au moins, jusqu’à la cuisse.
Il ne se cherche vraiment de finesse qu’aux extrêmes.
Oui, n’en déplaise à tous les lourdauds, il a la jambe fine et haute des danseurs étoiles, et il creuse généralement la cambrure qui met en valeur une queue de pie, souventes fois relevée.
Et enfin, à l’autre extrême, appointe cet organe qui le distingue de tous….
Long et presque pointu, c’est par là qu’il se fait apprécier, infatigable, de jour comme de nuit, il y goûte avec liberté ses jouissances artistiques aussi bien que ventrières.
Il n’a pourtant rien d’un noceur ou d’un balourd de table, plutôt un gobeur de buffets: trois miettes et quelques protéines lui font  un repas de noces…

Il préfère, généralement, l’ombrée hospitalière d’une végétation folle, voire la dissimulation d’un simple rosier, d’un tronc placide avec lequel  il fait facilement corps, et là, il peut enfin exercer son art.
Car c’est un artiste, Philomèle, n’en déplaise aux efficaces et aux soucieux du rentable.
Philomèle est un poète des  sons, oui, il improvise. Et pour dire des « Je t’aime » à sa façon,  il minaude de la voix, ce finaud musardeur. 
 Pire encore, s’il est possible, c’est un artiste amoureux !  Familier de la bohème -ou plutôt grand voyageur !-, il se laisse volontiers séduire par les charmes printaniers.
Et il y va, le gaillard, trillant ses amours et ses langueurs d’exilé comme on quête la pitié.
Oh ! Pas porté pour un sou à des idées. Non, ni même au sens de son infini discours, Philomèle, lui, il se suffit du vocabulaire d’une variation de hauteur mélodique autour de laquelle il sinue.
Il se complet à la polysémie de cette pétillance qu’il explore volontiers jusqu’à la perfection du modèle.
 En un  concerto  de phrases courtes et cristallines qu’il finit en point d’orgue, il dit avec patience :
 "Je suis là, entends-moi, belle!" 
Mieux même: 
"Réponds-moi, Amour ! ».
Et Philomène nous enivre, jusqu’à l’oubli, de dizaines d’envolées flûtées. 
Il vous étourdit jusqu’au profond des nuits, de répétitions en tonalités diverses, reprises, toutes, comme le soliste en quête de l’exact et parfait crescendo : gringotteries, oui ! Bien sûr ! 
Glissandos nocturnes aux accents flûtés.

Et pourtant, bientôt, Philomèle deviendra traître à sa nature. 
Oui, certains, jaloux sans doute de sa bonne fortune, diront même qu’il est un peu queutard. 
Il n’en est rien, bien sûr, ou s’il l’est, ce n’est pas plus que vous et moi.

Vous aviez fini par lui trouver chaque nuit, une voix, un timbre tout en parfaites nuances, le voici qui se tait maintenant,  dans tout ce noir d’insomnies qui s’adoucit du printemps qui finit …

Depuis quand ce silence, exactement ?
Pour oublier le frémissement tendu de ses vocalises, ses délices d’enamouré fragilisé de désir, Il lui aura suffi d’un irrésistible velouté  plumeux, de quelques tressaillantes voluptés.

Depuis, Philomène s’est installé en grave chargé d’âme.
 En tout cas, presque jaloux, il va, observateur prudent, posté dans le sillage des allées et venues de sa « choisie », toute occupée de meubler leur logis de fortune.
 Elle vous fait décor d’un rien, ou d’une feuille, parant, faute de moyens, les murs de leur unique pièce - salon, salle à manger, chambre et nurserie-, de quelques graminées glanées dans les champs alentour et posées en un limite désordre.  
Philomèle, disons-le tout net,  guette le signe : il attend qu’émergent de quatre à six grosses perles bleues, ovoïdes et tachetées d’ocre ses talents de père, d’utile nourricier.

Philomèle -en fait!- de chanteur, il ne l’aura été que le temps d’un désir!  
Sa vie de rossignol est plutôt, qu’on y regarde de tout près, celle du père-trouvère: en quête perpétuelle d’un bonheur qu'il ne sait chanter et qui comme un  horizon le fuit et lui échappe. 

Serge De La Torre (le 2 Mai 2016 à La Bégude de Mazenc)



     Photo de rossignol philomèle réalisée par mon ami Yves Gross (Photographe animalier)

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