mercredi 21 février 2018

Amants de brume



A mon épouse, sans qui ni ce texte, ni moi ne serions.
          
Chaque nouvelle année, quand poussent au milieu des pierres et des mousses, de tendres chiffonnades de pétales mauves, se lèvent deux ombres étranges et incertaines. 
Elles vont, dans les brumes et le halo de lumière sang et or des soirs d’hiver mourant.


 Ce jardin tout ensauvagé, est-il le leur, ou bien, ne sont-elles qu’en visite ?

- Mais que dit donc ce vieil homme
À son octogénaire compagne ?
Il chuchote et elle lui sourit. 


- Qui es-tu donc, ô sénescent poète
Qui d’un mot sait créer un tel soleil ?

« T’en souvient-il, ma Mie, de ce bouquet de violettes odorantes ; je te l’ai offert un pâle matin glacé: le froid figeait le Pont aux Marchés dans une brume ouateuse, blafarde. Le soleil ne nous offrait plus qu’un halo jaunâtre. »

- Je les chéris, ces vieux tendres, quand ils vont presque planant. Noueux pourtant, et fragiles, dans cette closerie toute de murets et de pierres déchaussées.  
Ils se réchauffent, dirait-on au soleil de quelque jeunesse.

 Assis sur un banc de pierre,
 Entré en vétusté depuis plus longtemps qu’eux,
 Ils demeurent, tranquilles.
Près du puits.
 Leurs regards glissent sur la mousse, 
Vers un lit de verts tendres, semé de mouches parme. 
Les vieux amants se taisent depuis longtemps.  
Ces deux-là guettent les violettes, qui dans les matins de l’hiver glacé, parsèment l’ombre mousseuse du puits séculaire et pourfendent les maigres gazons de leurs corolles froissées. 

Et il lui répète encore ce refrain, de crainte qu'elle ne l'oublie :

"T’en souvient-il, ma Mie, de ce bouquet de violettes odorantes ; 
je te l’ai offert un pâle matin d’hiver : 
le froid figeait le Pont aux Marchés dans une brume ouateuse, blafarde. 
Le soleil ne nous offrait plus qu’un halo jaunâtre"

Humble, à leurs pieds, comme déposées, Viennent là quelques fleurs, 
Qui, chaque année, signent leur histoire
Et saignent leur passé tendre, 
Sur le tapis de mâche, 
De leurs feuilles rondes, elles leur sourient, 
Graciles joues violacées de givre.

L’homme, tout tourné d’arthrose et de fêlures, dans un souffle de vent, - je l’entends ! -, qui glisse un refrain à sa compagne : 

« Te souviens-tu, ce matin-là ?
 La brume nous faisait un cocon de gaze ! 
Le soleil blafard ne perçait que d’un halo de citron glacé. 
Mais l’hiver n’y pouvait rien, nos cœurs étaient en flammes… 
De quelques fleurs que je t’ai alors, offertes … 
Dieu, ensemble, quel chemin, nous avons fait ! 
Nous sommes toujours là, et je t’aime encore!».

Sa compagne, toute embellie de silence,
 Se souvient, elle aussi :

« Combien de tourmentes, d’angoisses et de colères,
Et combien, pourtant, de tranquilles bonheurs ! 
Tous vécus, cœurs et corps mêlés.
Et puis, au vent dispersé
Une dynastie, née de leurs flancs ! »

Soudain les deux se regardent. 
Leurs mains et leurs corps se cherchent.
Avec la lenteur d’une infinie tendresse ;
Et leurs yeux brillent de pépites mouillées !  

Qui sont ces silhouettes d'ouate venteuse ?
Une légende court autour du vieux puits : 

Un vieil homme désespéré de voir sa compagne perdre,
Jusqu’au souvenir de son nom, y sauta avec elle.



                                                                                                               
             ©SergeDe La Torre


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