Non, je ne deviens pas fou.
La retraite, pas plus que toutes ces années au travail, ne
fera de moi, ni un saint, ni même un plongeur en eaux bénies.
Un vieux un peu sage? Peut-être! Dans longtemps! Il ne me déplairait pas.
Pour l'heure simplement, je tiens pour
miraculeux ce qui me touche, ce qui m'arrive parfois, quand je n'attends rien
et m'en retrouve bouleversé pourtant : rationalité cul par dessus tête,
évidences cabossées ....
J'ai vécu ce paradoxal bonheur (je ne me l’explique pas!), de vivre mon départ à la retraite comme
un enterrement éprouvé de mon vivant. Quelque chose comme un retour sur
investissement vital.
Je ne vous dirai pas tous les détails de ces jours,
juste une grossière synthèse de mes impressions. Elles vous importeront,
peut-être peu aujourd'hui, mais j'aime à penser qu'elles vous aideront, (un
peu, qui sait!, bientôt!) à vivre les yeux mieux ouverts vos propres et
originaux passages. De ces années vécues
au travail me sont revenus au visage le cœur que j'y ai mis, ou mieux le cœur
de ce que j'y ai mis, souvent ou le plus souvent, sans m'en rendre compte.
L'essence m'en a été rendue. J'ai fait le deuil d'un vécu, pu passer à un
au-delà.
Huit jours plein sur
le thème.
Premièrement; nous avons accompagné jusqu'au sommet d'une montagne un ami avec qui j'ai travaillé à
l'Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique, et qui partait « en
retraite » : une tranche de vie à revoir, pour lui comme pour moi, en
flashbacks. Une surprise de taille qui lui a été faite: cinquante personnes
venues par divers chemins, rassemblées pour un pique-nique géant tiré des sacs.
Mes propres collègues, deux jours plus tard, qui
ont su avec plénitude et finesse rendre le sens de ce qu'ils ont perçu de mon
engagement à l'ouvrage durant ces dernières années. Enterrement joyeux
aussi! De quoi réjouir Brel quand il chante "Le moribond ». Oh ça, oui,
on a bien ri. Les drôles
ont été jusqu'à filmer dans les tiroirs de mon bureau, des boites de choucroute
et de bon vin d’Alsace qu'ils y avaient mises. Jusqu'à nous mettre une collègue et moi en
compétition évaluative, tous les deux ridicules et heureux devant notre public.
Nombreux étaient ceux que j'avais perdu de vue, et qui ont répondu à l'appel du dernier
verre.
Et ma famille au complet, enfants, gendre, petit-fils et épouse à faire
chorus et à m'offrir une bien émouvante chanson. Oui,
de quoi faire le bilan ! Une soirée, pleine de musique : dehors, dans
les gazons de l'école, sous le feuillage
des arbres bercés de brise, soutenu par un buffet richement garni. Chambré
durant huit jours sur le thème: " Souviens-toi!" et mille
cadeaux d'adieu, pour me dire: " Va, vis, prends du bon temps !".
Et puis ce dernier jour! Comment défaire avec douceur, le fil des habitudes, du partage dans
l'action, le fil des attachements et des responsabilités à assumer jusqu'au
bout et puis à oublier demain.
Ne me
restait-il qu'à pleurer!?
J'ai choisi d'en rire, encore. Vêtu, le matin, du costume sérieux de ma fonction,
toutes les deux heures sous les yeux éberlués et rieurs des élèves mais surtout
des collègues, je me suis allégé d'un effet. J'ai fini le jour; en short, tong,
couronne de fausse fleur au cou et chemise hawaïenne. Des enfants
dessinant des bêtises sur un tee-shirt fantaisie tagué "Desesperate headmaster" ou "Very important person of this school" . Mais
le jour n'était pas fini, je n'étais encore qu'à la frange du sens des choses.
Avec mille complicités, dont celle de mon épouse, fine cachottière, des élèves
de ma plus riche année d'enseignement, s'étaient donné(e)s rendez-vous dans mon bureau. Quinze ans plus tard; avec la chanson que nous
avions crée ensemble et enregistrée avec des musiciens
professionnels. J'ai donc bu la coupe, jusqu'à l'heureuse lie, et passé en
leur compagnie, une soirée mémorable à égrainer les souvenirs, à m'entendre
dire qui j'avais été à leurs yeux, et à voir où tout cela les avait conduit(e)s
chacun et chacune.
Sur un nuage d'ouate, je
suis finalement rentré pour recevoir l'ultime message de ce jour
extraordinaire dont j'ai à me nourrir encore. Une ultime surprise dans un
paquet blanc: ce livre arrivé le jour même, envoyé par Yves et Doris, nos amis
de jeunesse. « Un voyage immobile » de Matthieu Ricard avec le plus
beau message: "Deviens encore! Tes plus beaux instants sont là devant toi
à goûter chaque jour". Un objet magnifique, des photos sublimes et ce message, ce rappel de
l'essentiel sens de la retraite: se retirer vers le centre, vers ce qui
compte. L’immuable changeant. L’impermanente et multiple unicité de
l’Etre.
Seuls ma famille et de rares amis
auront su totalement porter cette essentielle indication: l'importance de ce contact participatif que j'ai avec cette nature qui commence chez nous à ma porte, la méditation où
elle me conduit généralement, l'écriture (le lieu où je m’efforce de la dire),
et au travers de tout cela la définitive
quête de l'essence des choses.
"Entrer dans son cercueil", disent les
moines zen de leur exercice de méditation. Je vais finalement à la
retraite, comme on fait un premier pas, j'entre vivant et heureux en retraite,
rien ne meurt en moi, tout se transforme pour un autre pareil. Je ne me retire
pas d'un travail, j'entre dans un autre où je m'autorise à ne rien faire
éventuellement pour le monde, à ne plus rien attendre, ni vouloir. Sinon goûter
peut-être à l'harmonie des choses, aux beautés du monde, à méditer ce
nouveau rapport que j'ai à la vie. Sans doute, ne ferais-je, ce jour ou demain, rien d'autre que reprendre
ce que j'ai toujours fait, parfois délaissé, ou cru délaisser .
Je me rapproche pourtant de la
source en suivant le grand fleuve où il va. Sous toutes les formes de l'eau,
j'accepte encore de passer.
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