C'est à la poésie que je rattache mes plus anciens souvenirs de tendresses, tendresses maternelles.
A l'école, le poème scolaire a toujours été, pour moi, lieu de grands bonheurs.
Non pas que j'ai été grand versificateur dans mon enfance, ni ne le soit devenu depuis d'ailleurs, malgré le fait je m'y sois, durant bien des années, essayé .
C'est plutôt qu' à côté des vers qu'on nous faisait apprendre, il y avait des illustrations à réaliser.
Hélas, j'étais piètre graphiste! Si j'avais déjà bien du mal avec la plume sergent-major dont on usait à l'époque, je dessinais plus maladroitement encore.
C'est pourtant cette irréductible tare qui m'amena aux plaisirs de la langue rimée et pour un temps auprès de ma mère.
Elle, la cardeuse en usine, fille de paysans, avait si profondément pitié de moi, qu'elle faisait presque avec plaisir mes dessins.
Elle était illettrée (ou si peu s'en faut!), il faut dire que le peu d'école qui lui fut jamais possible en ces années de guerre, elle le fit en deux langues toutes deux étrangères.
Elle, qui ne parlait à la maison que le rugueux patois de l'Alsace paysanne, s'y trouva (comme beaucoup dans cette région occupée par les uns ou les autres au gré des courants changeants de l'histoire du dernier siècle), dans la cour et sur les bancs de l'école , à l'oral ou à l'écrit, interdite tour à tour de l'une (la langue de Molière) puis de l'autre (celle de Goethe ou de Rilke).
Elle avait gardé, des maîtres impossibles d'une école qui ne lui avait guère donné, une graphie tremblante que je voyais se ratatiner, peureuse et prudente, sur les étiquettes de pots des confitures qu'elle confectionnait avec beaucoup de sucre et de doigté, dans d'immenses casseroles baveuses d'une écume odorante, en été.
A chaque poème donné à « décorer » comme on disait entre nous, elle savait attendre, avec patience, que je le lui lise.
Et, vite d'accords, sur ce qu'il convenait de représenter, elle dessinait ravie et appliquée.
Elle me sauvait de l'inévitable honte d'une piètre note appliquée par les scrupuleux censeurs des savoirs qui sévissaient ces années-là, ainsi que des sarcastiques sourires de tous mes camarades mi-peinés, trois-quarts ravis.
Naïvement, sans fierté, mais avec le sentiment de pouvoir enfin m'aider à quelque chose à l'école, enrichissant son esquisse grise de mille coups de crayons de couleurs pleins d'hésitation, elle faisait naître, du blanc de la page, des chèvres plus vraies que celles de Seguin : il faut dire qu'elle en avait gardées plus d'une, elle pouvait donc bien les rendre.
Elle réveillait aussi du néant de mes cahiers, des dormeurs du Val plus rouges de sang à leur vareuse que de vrais morts au combat : il faut dire qu'en 1940, il s'était bien couché là, son frère (dans un Val, quelque part du côté de Reims) ...
Quand aux rivières gloutonnes où l'on se noie pour inspirer son grand-père prince des alexandrins romantiques, nous y allions baigner le dimanche et les tombes des cimetières, elle en connaissait quelques unes qui valaient bien celle de Léopoldine que Victor Hugo tenait à « fleurir d'un bouquet de houx vert et de bruyère en fleurs, là-bas, au loin, du côté d'Harfleur ».
Oui
la poésie ! Je n'en écrivais pas encore, mais je l'aimais
déjà.
Elle
disait selon moi, le beau, le triste, le doux, la guerre et
l'absence... tant de choses diverses et contradictoires dont elle
savait donner l'image, et qui nous parlaient à tous deux de paysages
infinis, qui avaient le charme de traits incertains
et naïfs : ceux, particuliers, d'un amour exprimé
dans la connivence autour de quelques poètes.
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