Même les fourmis ont un impact sur la marche du monde. Il n’est ni plante, ni vie qui ne laisse une empreinte à la face du réel et jusqu’après sa disparition.
Revenir à un endroit que l’on connaît, 20 ans plus tard nous le montre bien.
Ceci que nous avions vu a prospéré, cela suivant la loi de l’entropie a ou non totalement disparu, et telle autre chose a sous l’action des éléments, et des vies qui sont passées là, totalement changé d’aspect.
La fourmi a tracé mille fois son chemin avec ses semblables, et finira de déceler ce grain de sable. L'absence de celui-ci, alliée à l’action « érodante » des éléments feront choir la pierre située au dessus, puis le mur entier finalement où pousseront, se nourrissant de l’interstice, le chêne vert, l’herbe folle, ou la frêle Ruine de Rome*.
Combien plus l’homme, qui de ses savoirs, de sa puissance transforme les montagnes.
Et nous avons beau nous draper de modestie et prétendre en faire moins, chacun, peu ou prou entretenons, alimentons, participons du système qui modifie la face du monde.
D’un mot, d’un geste, par notre inscription dans le tissu social, nous défaisons des paysages ou leur donnons un peu d’une nouvelle fragile durée.
Nos murs crouleront pourtant, nos œuvres solides périront, mais la pensée ?
Une fois osée, une fois reçue comme une grâce évanescente, une fois transmise….
Il me plaît à croire que, pourtant fragile, elle ne se perdra plus, que quelque part, elle donnera suite, allumera en quelque autre cœur, une semblable ou une autre flamme.
Flammèche « impermanente » et sans substance qui sans allumer de grand incendie, modifiera à la taille de la fourmi, attentant déjà aux jour du mur sur lequel elle court éroder, ou éclairera le cour du penser, et jusqu'au cœur même du « pensement » des choses.
La vie grandit aussi par cette manducation sensible ou abstraite de l’être des choses.
La vie d’un homme aura beau vouloir se déconsidérer et se réduire à rien, à la plus grande inanité qui soit, le fait d’exister lui donne un indéniable impact sur l’être du monde.
Le fait de penser, de créer de la conscience modifie en qualité la nature de la Vie et du Réel.
Faut-il renier sa vie, à l’heure des bilans que l’on fait certains soirs ? Juste pour ne l’avoir pas portée à la hauteur des héros que l’on a mis sur nos trônes d’exemplarité ?
Méditation autour du destin d'un papillon :
Quelle est la plus haute destinée d’un papillon solitaire au cœur d’un bois désert, que celle d’inspirer une pensée au promeneur, un silence frémissant au musicien, une sensible émotion à l’œil de l’esthète.
Dans un instant, quelques jours au plus, ce papillon aura été , mais son involontaire impact dans le monde aura été ce qu’il eut pu ne jamais être : la terre fécondée de la conséquence de sa nature.
Demain cette pensée-ci qui guide ma plume numérique, éveillée par un papillon, sera à mille lieues, ce silence sur une fleur posée, soudain conscient, finira emmêlé au fracas assourdissant des humains, et cet éclat lu aux couleurs de son aile, fondu au tableau changeantde l’activité du monde.
Mais elle aura été et par là, plusieurs existences peut-être infinitésimalement changée.
A la pensée, à l’émotion devenue conscience et forme de l’esprit, comme à ce qui l’inspire, il nous faut accorder le respect dû aux possibles.
Tant d’images, tant de sensibles intuitions auront été, pauvres grains jetés, infécondes aux pierres sans progénitures de nos chemins, mais soudain pareillement lancées aux vents, l’une ou l’autre donnera-t-elles à quelque apprenti penseur, à tel compagnon de route, chemineau des solitudes, le courage de se mettre en route et d’aller sur les sentes de sa propre capacité à oser de papillonnantes élucubrations.
Sillons
Nous ne pouvons pas tous laisser de profonds sillons aux champs des Panthéons des littératures ou des gloires humaines, mais notre siècle aura multiplié les espaces où partager vite et loin nos modestes contributions à la conscience collective .
Nous ne changerons pas tous la face du monde académique, ni celle de nos cultures, encore moins sans doute le cours majoritaire des choses, mais nos petits espaces d’échanges où courent nos folles envolées vagabondes ou nos mûres et conscientes élaborations partagées, seront peut-être, par le plus pur des hasard, les pierres où d’autres appuieront leur démarche.
A l’aulne du périple qui conduit à faire, collectivement, le tour du monde, le premier pas a-t-il moins de valeur que le dernier ? Le dernier serait-il, s’il n’y avait eu le premier ?
L'infini est en nous.
L’infini est en nous….. dans la quête accueillante du nouveau, du non osé, du non-vécu de nous-même.
Il y a là plus de respect que d’orgueil, plus d’humilité prosternée que d’arrogance..
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