dimanche 17 mars 2013

L'AUTEUR A-T-IL LE DROIT DE TOUT ÉCRIRE ? (1)

Les auteurs invoquent la liberté d'expression, quand le moraliste et le philosophe parlent d'éthique et de sens. Quand au psychanalyste, il dira plus facilement que violence, sadisme et cruauté sont de ces pulsions qui nous tiennent là même où nous croyons et disons les tenir. Et chacun, de sa chapelle, de sa voix de basse ou de fausset de dire qu'il a raison ou que la raison lui donne droit.

 Mais qu'en est-il finalement ?




Ici comme ailleurs, les limites se questionnent

Comme en d'autres lieux artistiques, sur le Net et dans la littérature, se sont posées, au fil des temps, les questions de la violence trop bien décrite, de la cruauté et de l'horreur étalée,... en somme de ce que nous jugerions facilement pour inacceptable dans la culture et la littérature.

Aussi l'inévitable première question, est-elle:

Pourquoi inacceptable ?

Si l'écrivain est un témoin, notre époque n'est-elle pas assez cruelle pour inspirer des œuvres cruelles, pour pousser les hommes à témoigner des horreurs qui existent, ici et là, images tant banalisées, qu'elle en devient intégrées presque constitutives de la misère et de la nature humaine.

Que l'on se place du point de vue des victimes ou des simples contemplateurs de notre condition, ne sommes nous pas (collectivement, en tant qu'humains) les auteurs des pires atrocités que la face du monde connaisse.

Nul animal, pour s'acharner comme les sadiques humains et les maîtres en tortures de guerre, au nom toujours d'une raison d'état, d'un état d'urgence, ou d'une raison supérieure.

L'homme aura beau se créer un tribunal International, chaque guerre est et reste l'assurance d'atrocités inavouables et cachées, de la libération voir de la justification de l'ignoble.

Alors témoigner de la sauvagerie humaine, la mettre en scène, avec réalisme, pour la mettre en évidence dans sa triste proximité de notre nature profonde, ne pourrait-il être un acte de lucidité publique ?

Et pourtant lorsque celle-ci s'expose trop, elle appelle en général une première interrogation de son auteur sur le risque de dépasser les limites de l'acceptable, et ce avant même une condamnation extérieure .

Car il existe en chacun de nous une limite à la tolérance de la cruauté, à la violence exposée, située à des niveaux divers sur le curseur, mais existante même si on la refoule, ou si elle s'est par quelque pathologie muée en jouissance. 

Nous avons dès lors tous, à l'interroger, à la connaître.

Faut-il que nous soyons ramené à la réalité crue des choses pour la penser, ou ne risquons nous pas de tout banaliser à force de nous voir dans nos abîmes de capacités à l'horreur?

Chaque texte qui paraît, qui montre sans recul, qui cherche par trop de réalisme à poser le problème éveille des questions, appelle une émotion, conduit à une réaction.

Outre le fait que je ne voudrais pas avoir la responsabilité de juger de chacun des textes ou des œuvres diverses qui ont fait polémique, je ne me permettrais pas de juger lesquelles des réactions données furent bonnes ou lesquelles les seules possibles.

Avertir les lecteurs et ainsi le « protéger » de ce qu'il n'aurait voulu voir suffit-il ?

Une part en moi la plus fine peut-être, la sensible et raisonnable approuve le retrait ou la censure des œuvres de particulière violence ; quand la plus, peut-être la trop, démocrate des parts en moi s’interroge : et la liberté d'expression de l'auteur , qu'en est-il ?

La part de ce qu'il a voulu exprimer d'utile a-t-elle été bien évaluée, accompagnée, reconnue ?


Quelques questions qui se posent.

Comment tracer cette frontière de l'inacceptable, de l'infranchissable, dans les arts et surtout dans notre littérature.

Comment négocier avec cette frontière de la violence littéraire qu'il ne me tente pas d'explorer, mais que je tiens pourtant à éclaircir, à mieux conceptualiser et partager ?

L'humain, reste l'humain et l'horreur comme l'erreur sont humaines.

Qu'est ce qui peut, en lui, conduire un auteur à des choix d'expression de la cruauté ?

Comment à l'exercice extrême de la cruauté qui s'affiche et se dit, opposer autre chose que la morale fut-elle bien pensée ?

Peut-on cautionner ou exclure comme non pensable, une écriture du simple fait que dans un premier abord, elle choque par l' outrageuse violence ou cruauté qui s' y exprime ?

Quelles peuvent bien être les raisons qui guident un responsable de site, de publication à refuser tel texte, telle réalisation graphique  en dehors de sa sensibilité personnelle; et pour quelle limite précise franchie ?

Est-ce comme pour ce qui concerne le religieux ?

 Faut-il s'interdire d'interroger les lignes et ménager à tout prix un statut quo bien pensant, en se refusant de mesurer la vérité par peur de déranger en osant ?

Je choisis d'au moins une fois, essayer de poser les « bonnes ? » questions !

Chaque fois que le scandale éclate, la liberté effarouchée est appelée à la rescousse d'un côté, la moralité ou la mesure conventionnelle (le généralement admis) de l'autre.

Chaque fois que se dit la sauvage réalité des pires possibles en l'homme, c'est l'émotion qui guide en premier nos réactions dans un sens ou l'autre.
 Ne s'agit-il que de la stratégie de l'autruche ? 
Ne rien voir, ne rien entendre pour n'avoir rien à dire ? 
Ou bien, les émotions que la cruauté qui se met en spectacle portent-elles quelque chose de si sidérant, qu'elle est condamnée à manquer absolument son projet de faire penser?
Elle finirait alors par ne plus rien dire, sinon nous rabaisser à une réaction de pur rejet ?
C'est aussi elle, cette salutaire émotion, qu'il faut, non point condamner comme mielleuse et porteuse d'un insuffisant courage (Tu es risible, pff ! chochotte!) mais comprendre et interpréter.
Est-il plus louable d'être dur à l’écœurement que sensible ?

La contrainte des violents au rejet de l'émotion aurait peut-être besoin d'être éclairée de quelque raison, elle aussi, et peut-être comme la première violence faite à ceux qu'elle rebute.

Ainsi faudra-t-il que nous posions quelques questions urgentes :

Existe-t-il une circonstance qui autorise avec validité un auteur, un écrivain au nom de la recherche de l'efficience littéraire, de son devoir ou de sa volonté de toucher la sphère émotionnelle de son lecteur, à user de violence contre son lecteur ? 

Peut-il se livrer pour le sensibiliser à son propos, à toutes les licences : jusqu'aux plus extrêmes ?

Peut-il s'autoriser à mettre en scène la limite de la pensée, l'extrême inférieur de l'humain ; en s'autorisant lui-même au plaisir du spectacle mis en mots, de sa propre concupiscence.

A-t-il le droit d'entraîner ou d'alimenter, presque en la validant celle des autres ?

« Entrez, entrez, ici il y a tout à voir de vos arrières plans cachés.
Sous ce chapiteau, la mort en direct, l'horreur sans fard, mise en scène de la crue violence, parade du sadisme élevé à ses extrêmes...
Entrez, entrez venez voir le spectacle le plus osé du monde. 
Venez éprouver vos limites, testez votre résistance aux vomissements d'horreur !

Existerait-il une perversité possible dans l'acte créatif humain, et une horreur qui pourrait naître d'une subversion d'un projet littéraire ou artistique?
Est-on encore dans la littérature, dans l'art, lorsque l'on aborde de «semblables contrées»?

Inversement existe-t-il quelque chose de vraiment littéraire et artistique qui puisse s'écrire de façon insoutenable?

Quelles en seraient les caractéristiques, quel nom lui donner?

Sous quelles conditions limites, ces dimensions choquantes de la production écrite peuvent-elles entrer dans le domaine artistique comme de possibles explorations, comme d'acceptables voies d'écriture, sans perdre le statut artistique que donnent les outils de réalisation qu'ils empruntent (pour l'écrivain, le biais des mots, le peintre la toile et le pinceau, le photographe son appareil)?

Comment et pourquoi, clairement, se refuser à ces plaisirs torturés de l'esprit? 

Quels arguments éthiques extérieurs ou internes ? 
De quel ordre seulement littéraire ou également éthiques.
A contrario, qu'est ce qui trop souvent semble guider l'art vers ces extrémités scandaleuses : ne serait-ce pas des aspects souvent mercantiles et commerciaux ? le souci du buzz ? 
Quand ce n'est pas, même sans qu'il se l'avoue la prison où l'auteur, l'artiste se trouve lui-même enfermé ?
Questions, questions ! Que de questions, pour bien peu de réponses !

Voici pourtant quelques unes des pistes de réflexion que je souhaiterais emprunter.

(Voir la suite dans l'article : l'auteur a-t-il le droit de tout dire? (2))


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