dimanche 17 mars 2013

UN AUTEUR A-T-IL LE DROIT DE TOUT ÉCRIRE? (2)


Arts et violence, proximités scandaleuses : Premières réflexions autour d'exemples

Ne possédant pas assez de références dans la seule littérature de scandale, qui n'est que fort moyennement de mes goûts, je me permettrai un détour vers divers arts ou actualités qui interrogent une part de réalité sensationnelle, une confrontation à l'image choquante....

Le cinéma par exemple (surtout américain, mais aussi taïwanais et autre !).

Depuis longtemps, le cinéma US explore ou étale la violence de ses images, et l'horreur jusqu'à en structurer des genres spécifiques, et à, sans doute, en susciter l'actualité dans les écoles d'Amérique...

Littérature et cinéma, autour de Stephen King et de la mise en image de ses livres par exemple ont beaucoup joué avec l'émotion des spectateurs, et avec la fragilité adolescente : Carrie, Aliien ...
S'y sont essayés depuis ses origines, bien des auteurs, parfois des plus classiques au départ pourtant : exemple Roman Polanski avec Rosemary Baby : ils exploitent en scènes mémorables nos questionnements, mais aussi et surtout nos peurs, nos phobies.
Ce cinéma fait ses "choux gras" de nos appétits de violences, de nos soifs scandaleuses, de nos goûts du macabre et de notre besoin "expérientiel" d'émotions fortes : de plus en plus fortes, contrepoints à nos sens qui émoussent d'une trop riche alimentation en scènes réalistes et d'un luxe de sécurités et de sensorialités virtuelles possibles.
Pensons à Stanley Kubrick dans « Orange mécanique » ou à « Shining » et aux « Oiseaux » d'Alfred Hitchcock, et ce ne sont encore que les plus tendres.

(Pour les plus durs que le lecteur m'en excuse, je n'ai ni pratique, ni références suffisantes, pour le bien documenter!, je n'ai visionner pour cet article, et ne visionnerais pour lui, aucun «Massacre à la tronçonneuse», aucun « Bal des Morts-vivants »....).

Dans le domaine des arts plastiques, on se souviendra, il y a peu du choc suscité par des écorchés de Gunter von Hagens et de son exposition Our body/à corps ouvert, qui donnait à voir au nom de l'Art des tranches de corps véritables, et autres joyeusetés morbides à l'avenant.
 
En contre point, en littérature, des sujets qui eussent pu être terrible de descriptions et d'horreurs savent se négocier dans une mesure parfaite.

Je pensais dans une veine soft et maîtrisée à Marie Bourassa auteure canadienne qui a écrit un poignant triptyque « Le Maître des Peines » : histoire magnifique par son sujet, celle d'un enfant innocent mais férocement maltraité qui va devenir bourreau pour se venger d'un père si violent et cruel qu'il en a tué son épouse dans les bras de son fils, laissant celui-ci infirme, marqué à vie au plus intime.
L'auteure ouvre une riche réflexion sur les racines individuelles de la violence qu'on répète et sur le possible rachat du pire en l'homme, dans un Moyen-Age qui n'a rien à envier à notre sauvage modernité.

Le fantastique lui-même, globalement, mais le plus souvent avec beaucoup de prévenance, fleurte finement avec ces limites. L'on dit ainsi volontiers « merci » à Jean Pierre Andrevon lorsqu'il clôt sa nouvelle « la veuve », juste après la description des ongles crochus de la mariée et juste avant qu'elle n'en fasse durant la nuit de noces un usage qu'on pressent.

Et dans l’ambiguë bit litt, la gloutonne et sanglante morsure n'est elle pas le contradictoire signe vorace de l'amour castrateur et d'une prometteuse entrée en éternité.

Oui, art et violence se côtoient, s'aiguillonnent et veulent nous réveiller d’atones apathies, en jouant sur ces petits « jardins secrets » où nous tenons cachés « tant nos lilas bleus, nos fleurs des champs que nos immondices ».

Car les tentations des artistes créateurs, ne sont que les miroirs grossis de nos petits et sordides plaisirs (éros et thanatos mêlés en orgies scabreuses).

Les industriels du loisir et de la culture ne nous tiennent que par où nous voulons bien nous laisser prendre, assumant le plus souvent "éthiquement" et "mercantilement" ce que nous nous refusons à voir en face de nos mornes appétits ou refusons de refuser avec suffisamment de vigueur. Ne l'oublions pas !

Alors faut-il au nom de l'art tout aimer et accepter? 
ou 
Comment faire frontière, là où ne tient nul barbelé

Lorsque Tarentino dans Kill Bill asperge nos écrans d'hémoglobine à pleins seaux, est-on encore dans la sphère d'un art ? 
L'art du rouge et jaune sans doute ? 
Mais est-ce assez pour faire un chef d'oeuvre, quand le message en perd de faire sens ? Ne faisant plus que sensation.

Mais, rétorquera-t-on, n'a-t-il pas posé quelques scènes purement chorégraphiques à son interminable ballet de violences ?
Serait-il possible, de quelque façon, de justifier son choix d'ultra-violence par le seul esthétisme sanguinolent de scènes magistralement chorégraphiées ?

Ses choix de cinéaste sont-ils rachetés par la justification de sa volonté de mise en lumière de nos penchants réels ou encore par la justification dramatique qu'il fait de la violence exhibée dans cette histoire précise ?  (le massacre préalable d'une noce et d'un fiancé tant aimé)

Se protéger pour ne point censurer ?

Le cinéma comme la littérature, face à nos appétits ambiguës, ont été jusqu'à se créer des genres spécifiques : le film ou le livre d'horreur, le fantastique gore ou horrifique....

A défaut de faire mieux, de se poser quelques questions plus essentielles, du moins sommes nous prévenus du risque que nous prenons à les voir ou les lire.

L'horreur, l'apologie de la cruauté deviennent un sous-genre, à défaut d'être lus (parce qu'ils font industrie et commerce) comme plutôt un genre en dessous de la littérature ou du cinéma?


L'écrivain, comme tout artiste, tout homme : entre liberté et éthique .

Dès que nous parlons d'art, nous sommes aussi tentés de parler de ses limites , dès que nous parlons de limites, nous ne parlons de rien d'autre que d'éthique.

L'art se définit toujours dans le cadre d'une Weltanschauung (une image du monde), une lecture de la place qu'y tient l'artiste, à partir d'une anthropologie sous-jacente inévitable (une image de l'homme).

D'abord se pose la question de l'écrivain, de sa fonction, du sens de cet étrange métier qu'il pratique dans la société actuelle.

Oui, je l'exige : l'homme a le droit de tout dire. 

En théorie au moins, et dans le stricte secret de son seul dialogue solitaire : là, oui, intervient sa pleine liberté d'expression.

Comme dirait Pierre Mezinsky dans « Métier Ecrivain » : « UN ART QUI NE DIT RIEN , NE VAUT RIEN ! « « Ce qu'il a à dire , c'est ce qui donne à un écrivain de l'âme et du feeling. C'est ce qui lui donne sa force et son pouvoir de toucher les autres », «ça peut-être l'écho d'une souffrance héritée de son histoire personnelle, ça peut-être une vision du monde originale, intense, douloureuse....aussi cruelle qu'un traumatisme . Mais souffrance ou vision , le travail de l'artiste c'est de transformer tout ça pour en faire quelque chose d'idéal, quelque chose (...) de vertical. Sa vision du monde bouleversante doit bouleverser le monde entier».

Jean Cocteau définissait la littérature comme « un cri écrit » soulignant ainsi l'importance à donner au message, mais aussi à la responsabilité que nous avons de la forme qui lui est donnée.
 Car dès qu' un auteur s'exprime et communique, le voici responsable.

Il garde bien sûr ses pleins droits à la libre expression, à condition d'être encore dans son rôle, de pouvoir assumer ses mobiles, ses motivations en même temps que les effets qu'il produit sur ses lecteurs.

 Où se trouve le centre de son message, voir le centre de sa personne ?

«Il faut long entraînement de lecteur pour n'être pas mystifié, dupé, par de faux aveux, de fausses sincérités, de fausses visions du monde...Il est long à reconnaître le subtil vibrato en filigrane dans la voix, quand un auteur parle de ce qu'il connaît, de ce qu'il a vu, ce qu'il a vécu... Quand il n'est pas seulement en train de viser l'effet, de prendre une posture, de s'évertuer à imposer une idée de lui-même...» Pierre Mézinski

Il lui faudra avant d'aller plus loin, passer au tamis de son propre jugement éthique : or l'éducation de sa responsabilité personnelle peut être le travail d'une vie entière.

Il lui faudra accepter sa responsabilité professionnelle, autant que son désir de tout dire.

Il n'exerce pas dans un néant, et ne s'adresse pas à n'importe qui. 

Car oui, qu'on le veuille ou non, comme le dit encore Pierre Mézinski : « Le premier devoir de l'écrivain , c'est encore de faire attention à ce qu'il dit ».

Il ajoute encore : « Hélas, dès qu'on s'écarte du souci de la forme, le cri (le cri -vain?) de l'écrivain), devient vite n'importe quoi » « Durant les dernières décenies du XXème siècle, les auteurs ont décidé qu'il suffirait de tout dire pour que leur production soit de la littérature. (...) On aurait pu s'attendre à je ne sais pas moi – des secrets du monde ! Au lieu de cela, on a eu le plus simplet des exhibitionnismes.(...) c'était ça, le « tout dire ». Tout dire , c'était le nombril … ou plus bas. (…) Le vrai cri écrit, c'est autre chose. ».

L'écrivain crieur de vérité, ne peut se fourvoyer dans l'effet à trois sous, dans le plaisir narcissique de sa névrose et ne peut se complaire à y conduire à y vautrer son lecteur. Il a plutôt pour mission compatissante, s'il le peut, de l'en sortir.

Alors, finalement, peut-il en certaines occasions s 'avérer nécessaire de crier l’innommable ?

 La plus formidable logique dramatique dans une création pourrait-elle justifier l’extrême?
Sommes nous autorisés et en quel nom, à une quête d'un réalisme (impératif catégorique).
L'ellipse, la suggestion bien pensée ne peuvent-elle pas, comme dans « le Maître des Peines de Marie Bourassa ou La Veuve d'Andrevon dans « Ce qui vient de la nuit » suffire à dire, et servir le propos.

Au nom de quelle mission nous donnons nous quitus d'un partage réaliste maximal avec le lecteur. N'avons nous pas plutôt l'obligation morale et autant que possible à l’ellipse suggestive qui dirait tout autant sans trop obliger à montrer, à subir le voir?

Ce qui pour moi validera toujours plus la démarche d'une auteure comme Marie Bourrassa dans son triptyque par rapport à un Stephen King des premières œuvres, ce n'est pas sa seule violence des images qu'ils suscitent ou non, c'est le lieu où se situe le centre de l’œuvre et plus encore la réflexion de son auteur : 
Ce qui motive la structure de sa réalisation, ce qui sous-tend son écriture. 

En fait non pas la seule œuvre, mais l'humanité de son auteur .
« Vivons humain et après, peut-être écrivons !» P. Mézinski

Avant tout la portée ou la hauteur de sa réflexion sur l'homme!

Avant tout la hauteur de son humanité et de son respect pour ceux et celles à qui il s'adresse, ceux et celles dont il parle. 

Car celui qui parle de cruauté, celui qui se plaît à la souffrance qu'il expose, même pour quelque raison qu'il justifierait par un souci de réussite littéraire ou de pédagogie du public, sait-il qu'il ne fait jamais au mieux que répéter ce que d'autres ont réellement vécu ?

Être auteur, serait parfois montrer le chant des bourreaux ? C'est le plus facile !

Ce devrait être aussi le chant du respect de la mémoire et l'honneur des victimes, de tous ceux qui voient de trop prêt ce que par jeu, nous autres auteurs, serions si facilement prêt à jeter aux visages de nos lecteurs.

Finir sur une histoire vraie
Je me souviens d'un parent assez proche, entré dans notre famille par alliance.
Cet homme, instruit, a couché pendant prêt de dix ans, avec pour seul couverture la jupe sanglante de la mort.
Il a survécu à trois années de Guerre d'Espagne, à la faim, et la misère d'une lutte inégale et sans pitié.
 Puis à la vie dans les terribles camp de réfugiés du sud-Ouest de la France, où mourraient faute de soins, d'hygiène et de nourriture suffisante la moitié des prisonniers (car c'est bien ce qu'ils étaient: interdits de sortir, et sans aucune assistance extérieure durant de très longs mois) .
Il s' est engagé, alors, s'opposant à la dictature nazie alliée de Franco, dans l'Armée Française.
Pour elle, sapeur dans le génie, ne pouvant combattre, en un an, il a creusé et bouché, selon les circonstances, plus de trous, de tranchées et construit plus de ponts de fortune, que je n'en ferai jamais.
Puis fait prisonnier par les Allemands, de 1940 à la Libération, il a survécu comme il a pu, à Matthausen, dans les camps de la mort, côtoyant l'inhumain et l'effroyable: là où un bout de pain perdu ou donné de sa maigre ration journalière, le froid, une plaie purulente ou un virus pouvaient vous condamner à mort, aussi sûrement que l'arbitraire des gardes SS ou des Kapos.
Oh, il n'était sans doute pas vraiment un grand héros, ni sans doute un ange (malgré son nom Angel), seulement le plus simple des hommes droits que j'ai connu.
Pendant tout le temps que je l'ai fréquenté, de tout ce vécu,

ce militant, 
cet homme actif et ardant défenseur, jusqu'à son dernier souffle, des droits de ses semblables, 

il ne nous en a rien dit.

Lui l'orateur reconnu dans toute l'Ile de France..

Son entourage, parfois seulement, nous expliquaient ses silences, et ses larmes sèches.

Il a fallu que l'une de ses filles Véronique Olivares Salou, historienne de la guerre d'Espagne écrive, il y a quelques années à partir de rares récits ou surtout de ceux de l'un de ses amis de périple, un timide et poignant livre «Vieux compagnons dont le cœur est à la douane »  étayé de toutes  traces écrites laissées et retrouvées sur son chemin de combat et de peine, pour que j'apprenne, qui il a été et ce qu'il a connu, durant toutes ces années.

Lui, le militant anarchiste et anti-franquiste ballotté par les monstruosités de deux guerres du dernier siècle, de deux dictatures et de beaucoup de cruelles indifférences, avait le droit de dire l'horreur.

 Et il n' en a rien fait (ou si peu) et à son seul ami déporté lui aussi.

S'il s 'était senti le droit d'en accabler ses semblables, assurément, il ne l'eut pas décrite comme une merveille sanglante chorégraphiée par un génie (même fou).

Il savait lui le poids du « cri vain » ou la portée de l' "écrit-vain" et de la réalité vécue.

Ses bras nus où saillaient ses veines et son matricule indélébile parlaient pour nous (enfants) un langage encore incompréhensible et hors les mots, mais  plus bruyant que le Silence des Agneaux : celui des témoins tristes (marqués à vie) et survivants .


Image : "Sex Crime Variation 2" by Joe Machine From [http://www.stuckism.com/GFDL/Machine.html]. Permission on that page: http://www.stuckism.com/machine/index.html Copyright © Joe Machine, stuckism.com. Released under GFDL.




3 commentaires:

  1. La verticalité de l'oeuvre serait une affaire de public, c'est lui qui donnerait ce statut à la réalisation de l'auteur?
    1) La verticalité de l'oeuvre : c'est bien sûr une affaire de public comme tu le dis, mais en partie seulement,
    1. pour la partie public, qui n'est selon moi pas première, je te renvoie à Mézinski que je vais encore citer (décidément cet auteur dit des choses vraies, du moins pour une certaine littérature, celle que je considère encore comme la plus noble) : « L'artiste a besoin de « connaisseurs ». Rien de plus précieux que ces hommes-là (Je rajoute « femmes-là! »), qui donnent du temps à son travail et l'examinent en profondeur.... Le problème du public en art rejoint ce qu'on appelle le problème de l'intégrité de l'artiste. L'écriture qui est « cri- écrit » n'a strictement aucune valeur si le cri est une simulation. Aucune valeur si le cri est modulé en fonction de la réponse qu'on espère. Pour qu'il y ait art, il faut que l'artiste soit intransigeant là-dessus. Si son cri recherche ou vise l'écho, il est fichu. On est prévenu que, quand on crie, il peut bien arriver que ça résonne dans le désert.(...)Le public aime ou n'aime pas, suit ou ne suit pas, apprécie, rejette, voire ignore. Pour l'artiste, ça ne peut-être en aucune façon déterminant. Le succès ajoute de la valeur à l’œuvre, mais n'est pas la valeur en soi. »
    2. pour la partie, qui est, à mon avis, encore plus essentielle, c'est à dire pour ce qui fait d'un cri de douleur une œuvre, je te revoie à mes textes : « Écrire, c'est puiser et sculpter ! » et "Nous devons avant toute chose être Homme, l'artiste peut venir ensuite... (Hopper)" dans le paragraphe " Ecriture et personnalité". Le cri ne devient art que lorsque le cri est un cri qui touche ou fait écho à l'univers, où l'émotion qu'il véhicule exprime et magnifie l'émotion d'un grand nombre.

    2) Les écrivains comme Céline et Claudel ?
    Le point de vue de Mézinski, une fois encore: « On pourrait citer une pêtée d'écrivains qui à ce qu'on sait de leurs vies ont été de tristes sires. Voltaire était un mercanti . Rousseau abandonnait ses mômes. Hugo s'envoyait des bonniches (.....) Sarthe était un irresponsable, (…) Gide et Montherlant pédophiles.
    Tout un paquet ont été lâches. Au moment de 14-18, quand le peuple de France se faisait trouer la peau, où étaient Mauriac et Cocteau (…) pourtant jeunes et fringants, pas malades pour deux sous ? Réformés pour motifs bidons...planqués dans des bureaux paisibles....
    Un écrivain n'est pas ses livres.
    La littérature devrait être anonyme . Ça ne pourrait lui faire que du bien .
    La littérature redeviendrait lecture, cesserait d'être un produit de mode.
    On lirait de nouveau les livres au lieu d'acheter Untel sans le lire.
    Tous les faussaires plieraient leurs gaules, les vrais auteurs en profiteraient. (…)
    Hors des regards du public, ils retrouveraient des libertés de franchises et d'inspiration (…) C'est l'art qu'on applaudit, pas l'artiste.» p61

    RépondreSupprimer
  2. Pour ce qui est des morts,je crois que ce serait pour la plupart, une erreur que de dire que les survivants des camps ont été détruits et n'ont plus pu parler, je craindrais trop de les blesser deux fois.
    Ce serait aussi ignorer ce travail de mémoire qu'ils ont pour beaucoup accompli, certains jusqu'à la veille de mourir, ce qu'on écrit des gens comme Semprun, qui après 18 ans d'implication et d'application oublieuse en politique pour reconstruire le monde, l'Espagne et lui-même, finit par écrire « L'écriture ou la Vie », puis beaucoup d'autres livres sur les camps, ou l’œuvre de Primo Lévi qui a cherché derrière les horreurs qui ont été perpétrées et dont il fut témoin et victime à montrer, transmettre et expliciter son expérience concentrationnaire à Auschwitz, disant aussi ce qu'il pouvait y avoir d'humain chez les acteurs des camps (Si c'est un homme), ou encore Martin Gray (Au nom des miens) qui dit sa rage de survivre pour tous les siens, ou Soljenitsyne qui témoigne dans « Le Goulag »...
    Beaucoup, comme mon oncle par alliance, ont tu beaucoup de ce qu'ils ont vécu, jusqu'à avoir intégré ce qu'ils ont souffert de traumatique, n'en parlant qu'à ceux qui étaient capables de les entendre et de les comprendre dans leur douleur, avec cette pudeur de ceux qui ne veulent pas souiller la joie des autres (la douceur parfois inconsciente de l'après guerre), avec des secrets incompréhensibles, des horreurs que même et surtout leurs enfants ne pouvaient pas tous entendre.
    J'ai « visité » l'un de ces camps, il y a 30 ans (Natzwiller-Struthof, seul camp d'extermination sur le sol français, en Alsace), je m'en souviens comme d'une honte pour l'humanité, j'ai écris l'an passé une nouvelle qui usait de ce cadre (Le pendu de Noël).
    Elle a été, l'un des textes de mon point de vue, des plus douloureux à écrire et des plus forts aussi, mais je ne le relis jamais, je ne le peux pas.

    RépondreSupprimer
  3. Je crois que la bien-pensance artistique peut, elle aussi, être une sorte de dictât et la liberté d'expression devenir une porte ouverte au n'importe quoi, or celui-ci ne suffit pas à faire de l'art, ni à justifier en soit la marque de fabrique « œuvre d'art ».

    Faut-il par exemple condamner Burgess, pour son ultra-violence dans Orange mécanique ?
    Je crois que chez Burgess, ce qui fait de son Orange Mécanique une œuvre d'art, c'est la transmutation du fait divers qu'il a vécu, en œuvre-support d'une réflexion orientée sur une réalité humaine et sur les réponses qui lui sont données par la société : une pensée combattante d'un conformisme donc (un cri).

    C'est ce fond qui fait œuvre d'art et pensée originale (Verticalité).

    Or toutes les œuvres qui nous sont données à consommer aujourd'hui ne peuvent être élevée à ce niveau de réflexion, de distance avec la pulsion violente. J'y trouve trop souvent, de grandes et gratuites complaisances.

    Combien sont des constructions mercantiles qui se réduiraient à 10% de sexe, 30% de violence gratuite, de spectaculaire sensationnaliste, et quelques autres ingrédients qui n'ont de justification que la « vendabilité » de l’œuvre ou l'audience publique qu'il est possible d' en espérer.

    L' appellation d' œuvre pour un fond trop explicite, ne se justifie que lorsqu'il y a un message plus vertical à servir au travers de l'outil en question, que lorsqu'il y a ce fond de sincérité qui fait de l’œuvre un vrai cri-écrit.

    La question reste toujours de ce que l'artiste dit au travers de la forme qu'il choisit pour s'exprimer. 

    Burgess a un message profond, c'est le message qui valide la forme, et la forme ensuite qui rend artistique le fond de sa pensée, forme de transmutation de son expérience personnelle. 

    Je ne nie en rien la bête monstrueuse, sous le vernis de la civilisation. Chaque guerre, ou chaque fait divers dans la presse n'en est qu' ne baroque et trop illustrative expression. 

    Mais la forme et le choix de la violence complaisamment étalée dans certaines œuvres ne sont pas des justifications suffisantes à la valeur artistique en soi. 

    Il ne suffit par d'étaler ses tripes pour briller (ou seulement en tant que possible affirmation de leur existence, tant qu'on voudrait la nier), mais il reste que je m'autorise dans mes choix et mes écrits à ne pas réduire l'homme à ce qu'il « contient » , à ses seules turbidités, au pire dont il soit capable .
     
    L'humanité, de mon point de vue, est aussi le seul espoir qui soit le nôtre. 

    La plénitude de notre nature peut seule nous élever au dessus de nos ombres quelques qu'elles soient. 

    Mais je ne fais pas de ce propos, un prédicat pour interdire que d'autres points de vue existent, ni que d'autres pratiques artistiques s'épanouissent si d'aucun trouvent à s'y nourrir.
    J'irai même jusqu'à bien des limites, en défendre le droit à exister. 

    RépondreSupprimer